Pourquoi la paix en Ukraine reste hors de portée

Source: La Tribune de Genève


Théophile Simon

 

L’attaque sur un supermarché de Kharkiv le 25 mai dernier a frappé les esprits. Comment amener les Russes et les Ukrainiens à la table de négociations? SERGEY BOBOK/AFP

Volodymyr Zelenksy et Vladimir Poutine sont-ils mûrs pour un cessez-le-feu? C’est ce que l’on pourrait croire à la lecture de l’intitulé de la Conférence de haut niveau pour la paix en Ukraine, organisée à la demande de Kiev au Bürgenstock les 15 et 16 juin. Le Kremlin n’a pas été invité et s’évertue à saboter le sommet, mais plusieurs dizaines d’autres délégations diplomatiques feront le déplacement dans l’espoir d’ébaucher une issue au conflit.

On pourrait aussi croire à l’inévitabilité d’une paix prochaine en observant le champ de bataille. À l’été 2023, les forces ukrainiennes ont échoué à percer les lignes ennemies lors de leur contre-offensive. Malgré son écrasante supériorité en nombre de soldats et de munitions, Moscou n’enregistre ces derniers mois qu’une poignée de victoires à la Pyrrhus. Son actuelle offensive sur Kharkiv semble en passe d’être circonscrite par les Ukrainiens. Les deux belligérants s’enlisent dans une impasse militaire au coût exorbitant.

Les Ukrainiens restent déterminés

Cette situation devrait perdurer encore longtemps. «La Russie n’a plus les moyens d’avancer de manière significative. Les Ukrainiens non plus, mais ils espèrent reprendre l’avantage en 2025, à mesure que les usines de munitions occidentales atteindront leur pleine capacité et que les chasseurs F-16 leur seront livrés en nombre suffisant», estime Branislav Slantchev, expert en théorie des conflits, professeur à l’Université de Californie (San Diego) et auteur de «Menaces militaires: le coût de la coercition et le prix de la paix» (Cambridge University Press, 2011).

D’après un récent sondage mené par Razumkov, un institut de recherche ukrainien de référence, 83% de la population ukrainienne croit encore que Kiev peut l’emporter sur Moscou. Plus des deux tiers des sondés réclament toujours une restitution complète du territoire ukrainien (Crimée incluse) ou la destruction complète des troupes russes.

«La détermination des Ukrainiens s’effrite à peine avec le temps. Ce qui change, c’est que les gens réalisent que la guerre sera longue: la moitié d’entre eux pensent que le conflit durera deux à cinq ans de plus», souligne Petro Burkovskyi, le directeur de la Fondation pour les initiatives stratégiques, un important centre de réflexion ukrainien.

Vladimir Poutine toujours inflexible

«Une fausse idée persiste chez les Occidentaux selon laquelle cette guerre peut s’achever par une négociation avec la Russie, continue Petro Burkovskyi. C’est impossible, car Vladimir Poutine est opposé à l’idée même que l’Ukraine reste une nation souveraine. Le Kremlin se sert de la crédulité et de la soif de paix occidentale pour gagner du temps, reconstituer ses forces et repartir à l’assaut.»

Une analyse partagée par Branislav Slantchev. «La principale entrave à la paix est que les buts de guerre du Kremlin sont toujours maximalistes. Poutine n’a renoncé à presque aucun de ses objectifs de février 2022 et pense qu’il finira par épuiser le soutien occidental à l’Ukraine, analyse-t-il. Cette situation n’est pas près de s’arranger, car Poutine a fait le ménage dans son entourage et n’a presque plus d’opposition politique en Russie. Ainsi isolé dans sa tour d’ivoire, il est plus insensible que jamais au coût de la guerre.»

Profiter du Bürgenstock

Si aucun des deux experts n’anticipe des avancées concrètes en faveur de la paix lors du sommet du Bürgenstock, tous deux estiment en revanche que la conférence est un beau cadeau fait à Kiev. «En réunissant des dizaines de délégations autour d’elle, l’Ukraine montrera à la Russie qu’elle jouit d’un important soutien parmi la communauté internationale. Cette solidité du camp ukrainien est l’un des facteurs susceptibles, à terme, de pousser Poutine à revoir à la baisse ses buts de guerre», affirme Branislav Slantchev.

Petro Burkovskyi espère quant à lui que les pays du Sud, jusque-là restés plutôt neutres, se montreront plus ouverts envers Volodmyr Zelensky. «Depuis la Suisse, l’Ukraine lancera un message à l’adresse des pays du Sud: si la Russie atteint ses buts de guerre en Ukraine, cela signalera à tous les pays dotés de l’arme atomique qu’ils peuvent désormais envahir leur voisin sans craindre trop de répercussions. L’ordre international éclatera alors en une multitude de sphères d’influence de puissances nucléaires», conclut-il.