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19 July 2019

Ukraine: «La question est de savoir si le Président Zelensky disposera d’une majorité au Parlement»

Pour le politologue ukrainien Olexiy Haran, le système électoral ukrainien est trop imprévisible pour déterminer si le nouveau Président pourra gouverner seul ou en coalition

Les Ukrainiens retournent aux urnes ce dimanche suite à la dissolution du Parlement provoquée par le nouveau Président Volodymyr Zelensky. « Serviteur du Peuple », sa toute nouvelle formation, est créditée de 42 à 52 % des intentions de vote dans les sondages contre 10 à 15 % pour « Plateforme d’opposition – Pour la vie », 8 à 10 % pour « Solidarité européenne » de l’ancien Président Petro Porochenko et 6 à 8 % pour « Batkivshchyna » de Yulia Timoshenko. « Voix », la jeune formation du rocker Sviatoslav Vakartchouk tutoierait les 5 %, seuil pour entrer au Parlement à la proportionnelle.
Olexiy Haran est professeur de Sciences Politiques à l’université nationale « Académie Mohyla de Kiev ».

Comment jugez-vous les débuts présidentiels de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine?

Si on analyse ses faits et gestes depuis son arrivée au pouvoir, la situation est assez contradictoire. C’est un populiste et il continue sur la lancée de sa campagne présidentielle à l’occasion de ces élections générales. Il demeure néanmoins populaire et c’est la raison pour laquelle il a précipité la dissolution du Parlement, en utilisant les failles de notre constitution alors que sa décision était légalement très contestable. Le scrutin était initialement prévu pour le mois d’octobre et il a préféré accélérer le mouvement car sa cote de popularité risquait de baisser d’ici là. Pour vous, Français, cela peut paraître logique car les élections législatives se déroulent dans la foulée de l’élection présidentielle mais cela ne l’est pas en Ukraine. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si son parti, « Serviteur du peuple », emportera suffisamment de sièges au Parlement pour disposer d’une majorité ou s’il sera obligé de s’appuyer sur une coalition.

Quelles sont ses grandes lignes politiques ?

A ce stade, c’est encore assez flou. Sa politique étrangère est plus ou moins claire. Alors que l’agression russe continue dans l’est du pays, il est difficile de prévoir une réconciliation avec Moscou. Je ne le vois pas franchir la ligne rouge et accepter de faire de concessions tant que les combats continueront dans le Donbass. Et Volodymyr Zelensky a, par ailleurs, déclaré qu’il allait continuer la politique de rapprochement avec l’Union européenne et l’Alliance Atlantique (Otan). Sur le plan intérieur, c’est plus compliqué. Il s’est engagé à faire plusieurs réformes mais la composition de son entourage est très diverse et son parti n’a pas réellement de structure. Les gens qui l’ont rejoint n’ont pas d’expérience politique donc on peut se demander comment ils se comporteront dans le prochain Parlement.

Quels sont ses rapports avec les oligarques notamment Igor Kolomoisky dont on disait qu’il était la marionnette ?

Si on regarde l’entourage du Président Zelensky, il y a effectivement des proches de Kolomoisky mais en même temps il cherche à montrer qu’il a pris ses distances et qu’il ne dépend pas de lui. Maintenant, reste à voir comment il va pouvoir lutter contre le pouvoir des oligarques et plus largement contre la corruption. Cela fait partie de ses promesses de campagne mais le problème c’est qu’il manque d’expérience et l’approche en la matière va être définie par son entourage qui n’est guère plus expérimenté. Il peut donc y avoir un écart entre les promesses et la réalité.
« Zelensky a dit clairement qu’il ne s’allierait pas avec “Plate-forme d’opposition – Pour la vie”, ce qui est important car cela l’aurait mis dans les mains de la Russie. Il pourrait s’entendre (...) avec Yulia Timoshenko mais ce serait compliqué si cette dernière devenait Premier ministre ou présidente du Parlement tant elle est ambitieuse »

Qui pourrait être son Premier ministre ?

Difficile à dire pour l’instant car nous n’avons pas un régime présidentiel, c’est le Parlement qui choisit le Premier ministre. Le gouvernement est responsable devant les députés. Dans ce domaine, les pouvoirs du Président sont limités. Il ne peut pas démissionner son Premier ministre. On évoque le nom d’Oleksandre Danyliouk, un ancien ministre des Finances réformateur (2016-2018), actuellement secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, qui est très apprécié par les Occidentaux. Mais tout est ouvert.

Où en est l’opposition ?

Les sondages accordent aux alentours de 12 à 13 % à « Plate-forme d’opposition – Pour la vie » de Viktor Medvedchuk, qui est très proche de Moscou, mais il faudra compter aussi avec les forces post-Maïdan comme « Patrie » de Yulia Timoshenko et « Solidarité européenne » de l’ancien Président Petro Porochenko. Il faudra suivre aussi les résultats de « Voix », le nouveau parti du rocker Sviatoslav Vakartchouk qui a réussi à rallier beaucoup d’activistes de la société civile. Notre système électoral est mixte avec la moitié des sièges attribués via un scrutin uninominal à un tour dans 225 circonscription et l’autre moitié via un scrutin plurinominal de listes avec un seuil minimal de 5 %. Et on ne connait pas forcément les étiquettes politiques des candidats dans les circonscriptions. Beaucoup se présentent comme indépendants et se déterminent après coup.

Avec lequel le Président Zelensky pourrait-il former une coalition ?

Il a dit clairement qu’il ne s’allierait pas avec « Plate-forme d’opposition – Pour la vie », ce qui est important car cela l’aurait mis dans les mains de la Russie. Il pourrait s’entendre avec « Voix » voire avec Yulia Timoshenko mais ce serait compliqué si cette dernière devenait Premier ministre ou présidente du Parlement tant elle est ambitieuse.

Source: L`opinion